Traces d'une occupation humaine ( Traces of a human occupation ) [2016- 2018]

(Series produced in the phosphate mining basin of Gafsa, region located at the gates of the Tunisian desert)

This project Traces of a human occupation was realised in two phases: in 2016 in the context of the residency Under the Sand (Cf notes), led and produced by Azones (France) and Delta association (Tunisia), then in 2018, with the support of the Centre National des Arts Plastiques (soutien à la photographie documentaire contemporaine), Ministère de la Culture et de la Communication.

(Série réalisée dans le bassin minier d'extraction de phosphate de Gafsa, région située aux portes du désert Tunisien)

Ce projet Trace d'une occupation humaine a été réalisé en deux temps : en 2016 dans le cadre de la résidence Under The Sand (Cf notes), menée et produite par Azones (France) et l'association Delta (Tunisie), puis en 2018 avec le soutien du Centre national des arts plastiques (soutien à la photographie documentaire contemporaine), ministère de la Culture et de la Communication.

EXHIBITION VIEWS

Group show: Lire les lignes du monde / Festival PhotoSaintGermain, Galerie du Crous, November 2-18, 2023

Curators: Pascal Beausse (Head of photographic collections at the Centre national des arts plastiques. Art critic and curator) and Aurélia Marcadier (Director of PhotoSaintGermain, independent curator)

Triptych of 3 black-and-white silver prints (150 x 100 cm each) on limestone fragments +Triptych Atmospheres, Fine-Art prints on metallized paper (150 x 100 cm each)

The triptych of silver prints on limestone is a collaboration between photographer Amélie Labourdette and printer Julie Laporte.

The work was produced thanks to the support of the CNAP (Centre national des Arts Plastiques).

Intentions / Triptyque sur fragments de pierre calcaire [2023]

Ce triptyque relatif à l’Histoire de l’exploitation du phosphate a été conçu à partir de la série photographique Traces d’une occupation humaine [2016- 2018] réalisée dans les différents paysages et lieux singuliers qui constituent le territoire du bassin minier du Gouvernorat de Gafsa, région située aux portes du désert Tunisien.

Il est constitué de 3 tirages argentique noir et blanc (150 x 100 cm chacun) réalisés sur fragments de pierres calcaires ; roche présente dans les terrils des mines d’extraction de phosphate à ciel ouvert.

Le territoire est depuis plus d’un siècle sous la tutelle de la CPG, la Compagnie des Phosphates de Gafsa créée sous le protectorat français et qui en exploite les gisements. L’industrie des phosphates a littéralement retourné, bouleversé le paysage depuis moins de 40 ans par des carrières d’extraction à ciel ouvert et le lavage du minerai créé de réels risques d’épuisement des ressources en eau en nécessitant près de dix millions de m³ d’eau par an, pompés dans les nappes fossiles.

Les fouilles qui ont été menées dans cette région ont permis d’y révéler le lien entre la présence d’eaux souterraines, de sources artésiennes et la continuité d’une présence humaine depuis le Paléolithique-moyen jusqu’à notre époque contemporaine.

À travers une lecture des paysages et de lieux marqués de l’histoire d’une présence humaine, Traces d’une occupation humaine, se fait l’écho des dimensions multiples et sédimentaires de ce territoire, et se veut être une méditation photographique sur l’esprit du lieu.

Rechercher l’esprit du lieu, c’est tenter de saisir une aura, une atmosphère singulière, une synthèse des éléments matériels et immatériels, physiques et spirituels, qui produisent du sens, interpellent la mémoire et obligent à pénétrer l’univers de la complexité. C’est tenté d’atteindre un immatériel qui met en contact avec le passé, avec les ancêtres, mais aussi avec les générations à venir, et peut-être plus encore avec soi-même. C’est s’efforcer de saisir les multiples dimensions et significations qu’elles soient sociales, spirituelles, historiques et esthétiques, telles qu’elles sont perçues et transmises et dont ces lieux sont imprégnés. Toutes ces dimensions ont façonné l’esprit du lieu au fil du temps, à la suite d’interactions avec l’environnement naturel, de pratiques sociales ou spirituelles passées ou actuelles, de coutumes, de savoirs traditionnels, d’usages ou d’activités.

Élaborant une forme archéologie de l’esprit du lieu, cette série interroge ce lien et tente de rendre compte de l’empreinte de l’homme, des traces de son occupation au cours de ces 40 000 ans, convoquant différentes strates temporelles à travers plusieurs mises en regard qui illustrent l’ère Anthropocène.

Expérimentation photographique et exploration de sa matérialité, ce triptyque de tirages argentique sur fragments de pierre calcaire nous invite à sortir d’une vision présentiste de l’Histoire et à envisager les strates géomorphiques de la Terre comme un livre à décrypter : un livre-Terre qui raconte une histoire plus qu’humaine sur le temps très long qui se télescope avec notre temps présent, et qu’il nous faut écouter.

Depuis moins de 40 ans les carrières d’extraction à ciel ouvert de la CPG, ont formées d’immenses terrils au centre d’un paysage qui s’est constitué naturellement pendant des millions d’années. Paysage littéralement retourné, bouleversé, ces terrils, collines artificielles construites par accumulation de résidus miniers, déchets de l’exploitation minière, font remonter et affleurer à la surface les roches sédimentaires profondes. Employant comme support la roche calcaire présente dans les terrils des mines d’extraction de phosphate à ciel ouvert, ces tirages reflètent l’anthropisation démesurée de la géologie du bassin minier de Gafsa.

Les tirages argentique réalisés sur fragments de pierre donnent à la matière photographique une présence à la fois tangible et spectrale. Tels des spectres de notre civilisation anthropocénique, mémoires encloses au cœur des sédiments calcaires, ces tirages évoquent les vestiges archéologiques parcellaires de fresques d’une civilisation antique.

Ici se brouille notre perception linéaire du temps: les catégories du passé, du présent et du futur ne se succèdent pas nécessairement, mais s’entremêlent dans une conjonction des temps. À quelle époque sommes-nous lorsque nous regardons ce triptyque ? Serions-nous des archéologues du future découvrant les vestiges de notre propre civilisation contemporaine ?  Ou bien ces vestiges sont-ils ceux d’une civilisation passée, disparue ?

Sous forme d’une archéologie du présent, cette œuvre propose de nous reconnecter à l’esprit des lieux, à la matérialité des phénomènes et suggère une alternative à une vision présentiste de l’Histoire en nous reliant à une Histoire humaine et plus qu’humaine sur le temps long.

Ici, le moderne et l’ancien, l’immémorial et le futur se tissent au sein d’une chaire minérale du monde commotionnée, ici dans une conjonction des temps remontent à « fleure de pierre » nos spectres civilisationnels, qui tels des traumas nous hantent et viendront nous interpeler, tant que nous ne saurons y être attentifs.

PORTFOLIO PDF: Traces d'une occupation humaine ( Traces of a human occupation ) / FR/ENG



TEXT ENGLISH (FRENCH BELOW)


Traces of a human occupation

A photographic constellation of images, Traces of a human occupation, aims to capture through evolving temporal strata, the imprint and traces left by human occupation in the different landscapes and singular places that constitute the Gafsa Governorate mining basin territory in Tunisia.

  The excavations that have been conducted have revealed the link between the presence of groundwater and the continuity of a human presence since the Middle Palaeolithic (40 000 BC) to our present day. « Today in a crisis situation, Gafsa occupies a specific place in the Tunisian landscape: the territory has been for more than a century under the tutelage of the CPG, the Company of Phosphates of Gafsa created under the French protectorate and, which exploits the mineral deposits. Harshly affected by endemic unemployment and poverty since a drastic reduction of its employees in the 1990s by the CPG, this region is in 2008 the scene of popular uprisings severely repressed by the Ben Ali government army. These events are considered the beginning of the process leading to the Tunisian Revolution of 2011 ». (Jean-Christophe Arcos). The phosphate industry has literally transformed, disrupted the landscape in less than 40 years by open pit quarries and the washing of ore has created real risks of depletion of water resources by requiring nearly ten million m³ of water per year, pumped from the fossil layers.

The central axis of this photographic research is underpinned by a reflection interrogating the link between the presence of groundwater and artesian springs, and the continuity of a human presence from the Middle Paleolithic period to our Contemporary time, in this region.

Through a reading of landscapes marked by this history of human presence, Traces of a human occupation, aims to be a photographic meditation about the spirit of the place.

To seek the spirit of the place is to try to grasp an aura, a singular atmosphere, a synthesis of the material and immaterial elements, physical and spiritual, which produce meaning, challenge memory and force us to penetrate the universe of complexity. It tries to reach an immaterial time and space that connects with the past, with ancestors, but also with generations to come, and perhaps even more with oneself. It strives to grasp the multiple dimensions and meanings, be they social, spiritual, historical and aesthetic, as they are perceived and transmitted and of which these places are impregnated. All these dimensions have shaped the spirit of the place over time, as a result of interactions with the natural environment, of past or present social or spiritual practices, customs, traditional knowledge, or activities.

It is important for me to consider both the vernacular and the scientific discourse as a "double belonging" to a place: to an inner, intimate space, and to an outer space open to the other, which reflects the plural and polysemic relations awakened by the place.

Fragmentary, functioning in synergy, this photographic constellation gives way to temporal sedimentation, to palimpsests and to the heterogeneity that can encompass singular places and their multiple dimensions, that is to say the spirit of the place.

This "lamination" invokes different temporal strata and weaves its meaning inside these overlaps. It is a question of emphasizing the humanity of a landscape, by elaborating a form of archaeology of the spirit of the place, through several ways of looking that illustrate the anthropocene era:

  • the remains of the first human occupations dating back to prehistoric times (the rammadiyats are the "remains", the "waste" of the material life of Epipalaeolithic age) with the treatment of the "waste" of our contemporary epoch;

  • a landscape transformed, disrupted in less than 40 years by the open pit quarries of the CPG, forming huge heaps in the centre of a landscape that formed naturally over millions of years;

  • the French domination during its Protectorate, and the economic domination of the CPG's mono-industry;

  • the resistance of the Fellaghas armed movement which marked the decisive years of the history of Tunisia's independence against the domination of the French Protectorate, and that of the social movements that have been disrupting the mining region of Redeyef since 2008;

  • the continuity of an ancestral human presence beside the artesian sources with the disproportionate water exploitation modes of the GPG;

  • the World of the Dead, necropolis dating from the Neolithic and Protohistory, with the animist beliefs still persisting today and summoning the nature forces, the spirits of the ancestors.

As Walter Benjamin wrote: « An image is that in which the Former meets the Now in a flash to form a constellation. For whilst the relation of the present to the past is purely temporal, the relation of the Former with the Now is dialectical. (…) Only dialectical images are authentically historical, that is, non-archaic images. (…) « Authentic » images are those in which the new and the old intertwine: the past is not a fixed, motionless point that one can hope to approach (…). By burning, by digging a hole in the real, the image lights a wick and from the hole flies a spark where we recognize the past as something unfinished, always open ».

This photographic project was developed thanks to the collaboration of Mr Mohamed Saidi, Doctor in Prehistoric History.

A big thank you to Chemseddine Zitouni who supported me throughout this work on the Gafsa territory and without whom I could not realize this photographic project.

Notes:

CONTEXT OF RESIDENCY Under The Sand #2  / 2016 : UNDER THE SAND  is a project of transdisciplinary artistic encounters with an international dimension that is spread out over the long term (from 2016 to 2019) and creates exchanges between Tunisian artists and French artists, through a series of residencies and exhibitions in Tunisia and France. Initiated and directed by the visual artist Wilfried Nail with the collaboration of artist-researcher Souad Mani and the association of Jean-Christophe ArcosFatma Cheffi and Marion Zilio as critics and co-curators, this project aims exploring the Gafsa mining basin, a region at the doors of the Tunisian desert. Artists invited by the Under The Sand project : Wilfried Nail, Souad ManiImen Bahri, Farah Khelil, Minhee Kim, Amélie Labourdette, Dominique Leroy, Pascale Rémita , Ali Tnani, Benoit Travers and Haythem Zakaria.

1 An artesian source or an artesian well is an exsurgence forming a well where the water spouts spontaneously or by drilling. Artesianism describes property, the ability of a captive underground water table to allow the spontaneous gushing of the wells or boreholes that reach it: "the artesianism of a water table".

2 Mesology is a phenomenological and hermeneutical approach to geography that studies the humanity relationship to its environmental surroundings, its milieu. Here, the milieu (Umwelt, fûdo) is not the objective environmental datum (Umgebung, shizen kankyô), but the terms in which it exists for a certain being (individual, society, species ...). It is the reality of the ambient world proper to this being, and not to others. The milieu is therefore singular, while the environment is universal.

3 A rammadiyat is an artificial mound composed of ashes, snail shells, pieces of flint from the lithic industry, bones and fragments of ostrich eggs; all that represents remains of the Caspians material life in the region, their "waste". The Capsian period is a culture of the Epipalaeolithic of North Africa corresponding to the period extending from -8,500 to -4,500.

4 In order to produce 8 million phosphate tons (production per year), 10 million m3 of water must be pumped into non-renewable fossil aquifers - and thus do not supply the groundwater needed by farmers. In addition, millions of tonnes of sludge are discharged untreated into the wadis of the region. These sludges are loaded with heavy metals (cadmium, nickel, copper, zinc, chromium, etc.) that contaminate soil, groundwater resources and alter ecosystems; They change the permeability characteristics of the soil, giving it a cracked appearance. Likewise, the washing water, discharged into the natural environment, causes pollution by fluorine.

5It is the veneration of water springs, some mountains, caves, spirits. Some tribes's spirits of ancestors are always venerated and visited, not as God, but as an ancestral memory. These traditions have always made a link between these ancestral beliefs and the world that dominates them whether it is Punic, Roman or Islamic.

6 Walter Benjamin, Paris, capital of the nineteenth century, Paris, Éditions du Cerf, 2006, p. 476.

7 The Mr Saidi thesis work was to realize an Atlas, which based on a fieldwork and the prospecting, list the traces of a human occupations (rammadiats, necropolis ..). Atlas, from which he carried out an interpretation work and synthesis on the human presence continuityand its evolution in the Gafsa region from the Palaeolithic to Prehistory. Working also on the landscapes geomorphology, he tries to forge links between the first human occupations and their environment : he wrote an article about an artesian source in the Moulares sector and the presence of archaeological remains (these are sometimes sacred places), testimonies of a continuity of human presence near this source, from Prehistory until our contemporary era.


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TEXTE FRANÇAIS

Traces d’une occupation humaine

Constellation d’images photographiques, Traces d’une occupation humaine, tente de rendre compte, par la mise en regard de strates temporelles, de l’empreinte de l’homme, des traces de son occupation, dans les différents paysages et lieux singuliers qui constituent le territoire du bassin minier du Gouvernorat de Gafsa.

Les fouilles qui y ont été menées ont permis d'y révéler le lien entre la présence d’eaux souterraines et la continuité d’une présence humaine depuis le Paléolithique-moyen (40 000 ans av JC) jusqu’à notre époque contemporaine. « Aujourd’hui en situation de crise, la région de Gafsa occupe une place spécifique dans le paysage tunisien : le territoire est depuis plus d’un siècle sous la tutelle de la CPG, la Compagnie des Phosphates de Gafsa créée sous le protectorat français et qui en exploite les gisements. Durement frappée par un chômage endémique et la pauvreté depuis une drastique réduction de ses employés par la CPG dans les années 90, cette région est en 2008 le théâtre de soulèvements populaires sévèrement réprimés par l’armée du gouvernement Ben Ali. Ces évènements sont considérés comme le début du processus conduisant à la Révolution tunisienne de 2011 » (Jean-Christophe Arcos). L’industrie des phosphates a littéralement retourné, bouleversé le paysage depuis moins de 40 ans par des carrières d'extraction à ciel ouvert et le lavage du minerai créé de réels risques d’épuisement des ressources en eau en nécessitant près de dix millions de m³ d'eau par an, pompés dans les nappes fossiles.

L’axe central de cette recherche photographique est sous-tendue par une réflexion interrogeant le lien entre la présence d’eaux souterraines, de sources artésiennes1 et la continuité d’une présence humaine depuis le Paléolithique-moyen jusqu’à notre époque contemporaine dans cette région. Par le biais d’une exploration immersive, elle se déploie à travers différents vecteurs tels que la Préhistoire, l’Histoire, la Géomorphologie et enfin la Mésologie2, afin de saisir ce territoire aux paysages pluriels, aux lieux singuliers.

À travers une lecture des paysages et de lieux marqués de l’histoire d’une présence humaine, Traces d’une occupation humaine, se veut être une méditation photographique sur l’esprit du lieu.

Rechercher l’esprit du lieu, c’est tenter de saisir une aura, une atmosphère singulière, une synthèse des éléments matériels et immatériels, physiques et spirituels, qui produisent du sens, interpellent la mémoire et obligent à pénétrer l’univers de la complexité. C’est tenté d'atteindre un immatériel qui met en contact avec le passé, avec les ancêtres, mais aussi avec les générations à venir, et peut-être plus encore avec soi-même. C’est s’efforcer de saisir les multiples dimensions et significations qu’elles soient sociales, spirituelles, historiques et esthétiques, telles qu’elles sont perçues et transmises et dont ces lieux sont imprégnés. Toutes ces dimensions ont façonné l’esprit du lieu au fil du temps, à la suite d’interactions avec l’environnement naturel, de pratiques sociales ou spirituelles passées ou actuelles, de coutumes, de savoirs traditionnels, d’usages ou d’activités.

Il m'importe de considérer autant la parole populaire que le discours savant, comme une « double appartenance » à un lieu : à un espace intérieur, intime, et à un espace extérieur ouvert sur l’autre, qui réfléchit les relations plurielles et polysémiques suscitées par le lieu.

Fragmentaire, fonctionnant en synergie, cette constellation d’images laisse place aux sédimentations temporelles, aux palimpsestes et à l’hétérogénéité aptes à saisir des lieux singuliers et leurs dimensions multiples, c’est-à-dire l’esprit du lieu.

Ce « feuilletage » convoque différentes strates temporelles et tisse son sens de ces imbrications. Il s’agit de souligner l’humanité d’un paysage, en élaborant une forme d’archéologie de l’esprit du lieu à travers plusieurs mises en regard qui illustrent l’ère anthropocène :

  • des « restes » des premières occupations humaines datant de la préhistoire (les rammadiyats sont les « restes », les « déchets » de la vie matérielle de l’époque Epipaléolithique) avec le traitement des « déchets » de notre époque contemporaine ;

  • un paysage littéralement retourné, bouleversé depuis moins de 40 ans par les carrières d’extraction à ciel ouvert de la CPG, formant d'immenses terrils au centre d’un paysage qui s’est constitué naturellement pendant des millions d’années ;

  • la domination française lors de son Protectorat, avec celle de la domination économique de la mono-industrie qu’est la Compagnie de Phosphates de Gafsa ;

  • la résistance du mouvement armé des fellaghas qui a marqué les années décisives de l’histoire de l’Indépendance de la Tunisie face à la domination du Protectorat Français (1952-1954), avec celle des mouvements sociaux qui secouent la région minière de Redeyef depuis 2008 ;

  • la continuité d’une présence humaine ancestrale auprès des sources artésiennes, avec les modes d’exploitation de l’eau démesurés de la CPG ; 4

  • le Monde des morts, des nécropoles datant du Néolithique et de la Protohistoire, avec les croyances animistes persistant encore aujourd’hui et convoquant les forces de la nature, les esprits des ancêtres. 5

Pour le dire avec Walter Benjamin : « Une image est ce en quoi l’Autrefois rencontre le Maintenant dans un éclair pour former une constellation. En d’autres termes : l’image est la dialectique à l’arrêt. Car, tandis que la relation du présent au passé est purement temporelle, la relation de l’Autrefois avec le Maintenant est dialectique. (…) Seules des images dialectiques sont des images authentiquement historiques, c’est-à-dire non archaïques. Les images « authentiques » sont celles au sein desquelles le neuf et l’ancien s’entremêlent : le passé n’est pas un point fixe, immobile, que l’on puisse espérer approcher (...). En brûlant, en creusant un trou dans le réel, l’image allume une mèche, et du trou jaillit une étincelle où nous reconnaissons le passé comme quelque chose d’inachevé, toujours ouvert ». 6

Ce projet photographique s'est développé grâce à la collaboration de Mr Mohamed Saidi, Docteur en Préhistoire 7, originaire de Moularès depuis des générations.

Un grand merci à Chemseddine Zitouni qui m'a soutenue tout au long de ce travail sur le territoire de Gafsa et sans qui je n'aurais pu réaliser ce travail photographique.

 

Notes :

CONTEXTE DE LA RÉSIDENCE Under The Sand  / 2016 : UNDER THE SAND, est un projet de rencontres artistiques transdisciplinaires à dimension internationale qui s’inscrit dans la durée (de 2016 à 2019) et crée des échanges entre des artistes tunisiens et des artistes français, au travers d’une suite de résidences et d’expositions en Tunisie et en France. Initié et dirigé par l’artiste Wilfried Nail avec la collaboration de l’artiste-chercheuse Souad Mani et l’association de Jean-Christophe Arcos, de Fatma Cheffi et de Marion Zilio comme critiques et co-curateurs, ce projet a pour ambition l’exploration du bassin minier de Gafsa, région située aux portes du désert tunisien. Artistes invités par le projet Under The Sand : Wilfried Nail, Souad ManiImen Bahri, Farah Khelil, Minhee Kim, Amélie Labourdette, Dominique Leroy, Pascale Rémita , Ali Tnani, Benoit Travers et Haythem Zakaria.

1 Une source artésienne ou un puits artésien est une exsurgence formant un puits où l’eau jaillit spontanément ou par forage. L’Artésianisme, qualifie la propriété, l’aptitude d’une nappe d’eau souterraine captive, de permettre le jaillissement spontané des puits ou forages qui l’atteignent : « l’artésianisme d’une nappe ».

2 La Mésologie est une approche phénoménologique et herméneutique de la géographie qui étudie la relation de l’humanité à son milieu. Ici, le milieu (Umwelt, fûdo) n’est pas le donné environnemental objectif (Umgebung, shizen kankyô), mais les termes dans lesquels celui-ci existe pour un certain être (individu, société, espèce…). C’est la réalité du monde ambiant propre à cet être, et non à d’autres. Le milieu est donc singulier, tandis que l’environnement est universel.

3 Une rammadiyat est un monticule artificiel composé de cendres, de coquilles d’escargots, d’éclats l’industrie lithique (silex), d’ossements et de fragments d’oeufs d’autruche; tout ce qui représente les restes de la vie matérielle des Capsiens dans la région, leur « déchets ». L’époque Capsienne est une culture de l’Épipaléolithique d’Afrique du Nord correspondant à la période s’étendant de -8.500 à -4.500.

4    Pour produire 8 millions de tonnes de phosphate ( production par an ), 10 millions de m3 d'eau doivent être pompés dans des nappes fossiles non renouvelables – et n’approvisionnent donc pas les nappes phréatiques, indispensables aux cultivateurs.  En outre, des millions de tonnes de boues de lavage sont rejetées sans traitement dans les oueds de la région. Ces boues sont chargées en métaux lourds (cadmium, nickel, cuivre, zinc, chrome, etc.) qui contaminent les sols, les ressources en eaux souterraines, et altèrent les écosystèmes ; elles changent les caractéristiques de perméabilité des sols, lui donnant une allure craquelée. De même,  les eaux de lavage, déversées dans le milieu naturel, engendrent une pollution par le fluor.

5 Il s’agit de la vénération de sources d’eaux, de certaines montagnes, de grottes, d’esprits. Certains esprits d’ancêtres de tribus sont toujours vénérés et visités, non pas comme Dieu, mais comme une mémoire ancestrale. Ces traditions ayant toujours constituées un trait-d’union entre ces croyances ancestrales et le monde qui les domine qu’il soit punique, romain ou islamique.

6 Walter Benjamin, Paris, capitale du xixe siècle, Paris, Éditions du Cerf, 2006, p. 476.

7 Le travail de thèse de Mr Saidi a consisté à réaliser un Atlas, qui basé sur le travail de terrain et de prospection,  répertorie les traces d’une occupations humaine (rammadiats, nécropoles..). Atlas à partir duquel il a réalisé un travail d'interprétation et de synthèse sur la continuité de la présence humaine et sur son évolution dans la région de Gafsa du Paléolithique à la Protohistoire. En travaillant également sur la géomorphologie des paysages, il tâche de tisser des liens entre les premières occupations humaines et leur environnement : il a notamment écrit un article concernant une source artésienne du secteur de Moulares et sur la présence de vestiges archéologiques (ceux-ci étant parfois des lieux sacrés), témoignages d'une continuité de la présence humaine auprès de cette source, de la Préhistoire jusqu'à notre Époque contemporaine.

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